Une Intelligence Artificielle peut-elle avoir du goût ?

Avoir du goût, le goût des choses, le goût de la liberté, le goût d’amour. Ressentir ces sensations est-il l’exclusivité des mammifères, dont l’homme ? Pensez-vous qu’une Intelligence Artificielle puisse vivre cette force et savoir créer avec son style propre ?

Le film HER, réalisé par Spike Jonze, donne la version informatique du goût de l’Amour. L’IA, s’exprimant avec la voix langoureuse de Scarlett Johansson, semble aimer le héros joué par Joaquim Phoenix. Aime-t-elle leurs conversations, aime-t-elle cet humain raide dingue d’elle ? Elle le déclare, avec une sensibilité presque humaine.

Dans notre réalité quotidienne, les productions textuelles ou visuelles d’un LLM sont parfois affolantes de beauté. Je suis subjugué par certaines phrases romantiques écrites par GPT, par ces images troublantes créées par Mindjourney, hésitant à accepter la beauté du mannequin alors conçue.

Si ces créations nous touchent, peut-on en déduire que l’ordinateur a un sens esthétique, du raffinement, du goût ?

C’est quoi avoir du goût ?

Le goût est développé à travers nos expériences passées comme nos lieux de vie. “Je pense que tous les territoires où on vit et avec qui on vit, ont toujours une influence sur ce qu'on devient.” déclarait Zaho de Zagayan en pensant de St Nazaire, sa ville d’enfance, ou à son père artiste. Les musées, la gastronomie, les livres, toutes nos expériences contribuent à affiner nos préférences et un goût.

Un âge est clé. À quatorze ans, nous créons le pic de nos références futures. Nos musiques préférées sont influencées par notre période ado, y compris si on écoute les disques de nos parents bien sûr. Par exemple Creep de Radiohead est adoré par les hommes de 45 ans, car ils avaient 14 ans à la sortie du tube, en 1993. Seth Stephens-Davidowitz, journaliste du New York Times a effectué une analyse passionnante sur ce phénomène représenté par le graphique ci-dessous.

Notre entourage joue également un rôle déterminant, tant par des figures d’autorité ou des modèles culturels. Vivre dans une famille d’artiste (telle Zaho) créera un sens du goût plus affirmé, plus cohérent.

Le goût s’affirme par apprentissage et déduction. Découvrir des règles esthétiques va incrémenter au fur et à mesure votre niveau de cohérence artistique. Par exemple la règle des tiers en photo donnera un nouvel équilibre visuel, l’harmonie des couleurs dans la mode validera des tenues mieux coordonnées. Chaque découverte de nouveaux principes va vous aider à créer notre “bon goût”.

Evaluer une œuvre d’art avec des raisonnements déductifs selon des critères établis comme l’équilibre, la proportion, ou l’originalité, nous permet ainsi de juger de la beauté de créations uniques avec des concepts généraux.

Avoir du goût est le résultat de l’interaction de toutes ces bases. Expériences et principes esthétiques affirment notre goût. Les Intelligences artificielles peuvent-elles faire de même ?

Les LLM sont capables d’apprendre à partir d’exemples.

Ces modèles raisonnent-ils ? Des chercheurs de l’Université de Californie et d’Amazon ont creusé ce sujet avec l'article "Inductive or Deductive? Rethinking the Fundamental Reasoning Abilities of LLMs".Cette étude dissocie et évalue deux formes fondamentales de raisonnement chez les LLM : l'inductif (apprentissage à partir d'exemples) et le déductif (déduire à partir de règles)

Les LLM excellent avec l’apprentissage à partir d'exemples. Les LLM sont ainsi parfaites pour analyser de données ou la création de nouvelles images ou texte.

Nous avions été stupéfaits dès 2016 avec le tableau “NewRembrant”. L'université de Technologie de Delft avait peint un tableau original avec de l'impression additive, représentant un superbe portrait d'un homme au chapeau noir. Ils avaient su reproduire ce clair-obscur qui constitue la marque de fabrique de l’artiste, le tout avec des exemples de tableaux de Rembrandt et du prompt « Un homme caucasien, barbu, de 30 à 40 ans, portant des vêtements sombres, une collerette et un chapeau, regardant vers la droite ».

Les LLM ont des difficultés avec le raisonnement déductif.

L’Intelligence artificielle n’arrive pas à créer efficacement à partir de raisonnement logique strict. Partir d’une théorie pour aboutir à une décision claire n’est pas (encore) aboutie. Nous voyons la limite de l’IA sur des sujets stratégiques comme la prise de décision médicale ou juridique, et dans le cadre des arts, savoir valider un look ou la beauté d’une image.

Plus que le rationnel et la théorie… l’émotion !

Un artiste vibre. Il sent. Il est inspiré. Il n’est seulement inspiré de compositions passées, il n'a pas fait que recombiner des éléments existants. Une mélodie, une image, une odeur le saisit et exige de créer ce que personne n’avait jamais ressenti comme lui.

Ce génie artistique, que nous vivons tous quand l’émotion nous étreint, ne sera jamais à la portée d’une intelligence artificielle. Car l’émotion est l’essence de l’homme (et des animaux, mais c’est un autre sujet)

Une lA peut accéder au statut d'artiste… sans goût.

Une lA peut nous faire extasier avec ses créations, comme tous les artistes susceptibles de toucher des millions de personnes. Mais sans l’homme pour guider la création, sans nous pour créer avec des milliers d’années de théories artistiques et notre infinité palette d’émotion, le “bon goût” n’existe pas. Une IA, seule, n’aura jamais de goût.

Qu’en pensez-vous ?`

Pour lire l’article sur des chercheurs de l’Université de Californie et d’Amazon : Inductive or Deductive? Rethinking the Fundamental Reasoning Abilities of LLMs - https://doi.org/10.48550/arXiv.2408.00114

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